Murakami

J'ai eu de la chance: je suis tombé malade. Une bonne vieille crève des familles qui racle bien jusqu'au fond de la gorge.
Juste au moment où je recevais le dernier roman de Murakami.

Il faut dire que j'ai une théorie que les meilleures conditions pour lire du Murakami sont à trouver au fond d'un lit avec une légère fièvre (je recommande un petit 38C°).

On vante assez la poésie, l'onirisme mystérieux et la douce nostalgie de cet auteur, et d'après moi, l'état fiévreux, en brouillant la frontière entre rêve, réalité, et littérature est particulièrement propice à pénétrer ce territoire.

Mais surtout, j'apprécie les frissons sous la couette.
S'il fallait toujours expliquer la raison de toute chose, il faudrait encore une fois faire un retour à l'enfance.

Dans la maison de mes parents, il n'y avait pas de chauffage dans les chambres (je confirme pourtant que je suis né au XXe siècle, et non au XIXe). La mienne était sous les combles, et certains matins d'hiver, il m'arrivait de me réveiller avec du givre sur la face intérieure des vitres, et un nuage blanc qui sortait de ma bouche (j'habitais au nord de votre Nord).
Il fallait parfois du courage pour sortir du lit le matin, mais plus encore pour y entrer le soir. le matelas était tellement froid que j'avais l'impression de me coucher sur la banquise, et presque peur de déranger la sièste d'un pingouin.

Je me suis d'ailleurs mis à imaginer que j'étais un explorateur polaire perdu dans une tempête de neige. Mes nombreuses couvertures étaient autant de blocs de glace qui m'avaient permis de construire un igloo de fortune. Je ne laissais que la plus petite ouverture pour permettre à l'air d'entrer, mais pas assez grande pour laisser passage aux pattes des redoutables ours blancs qui hantaient la banquise en quête de nourriture.
Comme ma chaleur corporelle réchauffait lentement l'igloo, mon corps s'arrêtait peu à peu de trembler, et je finissait par m'endormir, fier d'avoir survécu un jour de plus dans cet environnement hostile.
Quand on a combattu le froid pendant de si longues minutes, en n'étant jamais totalement sûr qu'on finira par le vaincre, le peu de chaleur dont on peut jouir ensuite en prend un goût tellement doux!

Ayant vieilli de quelques années, j'ai eu l'idée d'améliorer mon scénario. Toujours sur la banquise, perdu en pleine tempête, j'imaginais rencontrer une exploratrice tout aussi perdue et frigorifiée que moi. Nous construisions notre igloo ensemble, et décidions comme seule solution de survie d'utiliser la chaleur animale (la nôtre, si vous avez bien suivi) pour nous éviter de mourir gelés. Je vous passe les détails à cette heure de la journée, mais j'ai la certitude que l'igloo se réchauffait beaucoup plus vite à deux, et atteignait des températures suffocantes (il faut croire que j'ai une imagination puissante).

Peut-être comprenez-vous maintenant pourquoi encore aujourd'hui, j'aime bien frissonner au lit.

Encore un peu plus tard, quand j'ai eu l'occasion de faire des explorations nocturnes en compagnie d'une vraie fille, un soir d'hiver, je lui ai proposé d'ajouter des couvertures et de dormir la fenêtre ouverte. Elle n'a pas eu l'air d'apprécier l'idée. J'ai tenté d'expliquer:
- Tu vois, on serait des explorateurs polaires, perdus dans la tempête, on construirait un igloo, et...
- Non mais ça va pas? T'es déjà pas bien dans ta tête, tu veux en plus qu'on se chope une pneumonie?
- Mais qu'est-ce que tu fais, pourquoi tu te rhabilles?
- Je retourne dormir chez mes parents. T'es vraiment trop barge.

Quel manque de poésie. Elle ne me méritait pas.

Mais pourquoi est-ce que je raconte tout ça?
Oui, je parlais du Murakami, que j'ai commencé dans mon lit en frissonnant, me réchauffant lentement sous l'effet des couvertures, du paracétamol et du grog (ma recette: miel, lait chaud et whisky, mais sans miel et sans lait, avec un supplément de whisky).
J'étais donc dans les conditions idéales. En plus, je suis assez partial vis-à-vis de Murakami. Mais j'ai trouvé ce livre plein de correspondances étranges et poétiques, une parfaite réussite.