Little princess, of Brooklyn - 4


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Il faisait un noir d'encre, mais ces monstres devaient avoir l'odorat extrêmement sensible. D'après le vacarme qu'ils faisaient en arrachant des branches, Zelda devinait que les créatures se rapprochaient d'elle en cercles concentriques (d'accord, elle ne savait pas exactement ce que signifiait "concentrique", mais elle adorait ré-utiliser des expressions entendues dans des séries télé, et quand des monstres assoiffés de sang se rapprochaient, c'était en général de manière concentrique, c'est à dire probablement avec de mauvaises intentions (jolie parenthèse à la Jaenada, n'est-ce pas ?) ), et qu'elles devaient être énormes. Les rugissements qu'elles émettaient avaient quelque chose de haineux. Ce n'étaient pas des fauves qui tuaient pour survivre, mais des démons qui prendraient un plaisir vicieux à vous faire souffrir très longtemps.

Zelda était paralysée de terreur, et elle ne put esquisser le moindre mouvement quand le premier des dragons, en écrasant un petit arbre, franchit la barrière dérisoire de végétation derrière laquelle elle avait trouvé refuge. Il était gigantesque, de la hauteur d'un éléphant, mais pourvu d'un long cou supportant une petite tête vicieuse armée d'une puissante mâchoire aux dents acérées comme des rasoirs (bah tiens !). Sa longue queue était bardée de terribles piquants, et il la balançait de droite à gauche, brisant sur son passage de petits arbustes comme s'il s'agissait d'allumettes.

Soudain, le dragon a braqué ses yeux rouges sur Zelda, et ne l'a plus quittée du regard, s'avançant lentement, savourant déjà sa victoire, et sa victime par anticipation.
Il s'est arrêté à quelques pas de Zelda, a avancé sa gueule ouverte, et...

...Zelda s'est réveillée en sursaut, le dos trempé de sueur, complètement désorientée comme on l'est au sortir d'un cauchemar, au moment où l'on se rend compte avec soulagement que ce n'était qu'un rêve, bien que les images soient toujours assez vivantes pour qu'on en ressente toute la terreur, si bien qu'on doit lutter avec toute la conviction dont on est capable pour se persuader soi-même qu'on est bien dans son lit, dans l'univers protégé de sa chambre.

Sauf que bien sûr, Zelda n'était pas dans sa chambre, elle s'en souvenait, maintenant, elle s'était enfuie de chez elle, elle avait erré dans Brooklyn, et elle s'était couchée épuisée dans le petit bois de Prospect park.
Tous ces horribles dragons n'étaient donc qu'un vilain rêve, et ces grognements... voyons, ces affreux grognements qui l'avaient réveillée auraient normalement du cesser en même temps que son cauchemar...
Elle s'est redressée d'un coup pour se retrouver nez-à-nez -non pas avec des dragons, mais avec des créatures à peine moins effrayantes.

C'étaient trois molosses énormes, sales, miteux, à l'air méchant, avec le regard fou que prennent certains animaux domestiques lorsqu'ils sont retournés à une vie semi-sauvage et qu'ils sont affamés.
Le chiot jaune avait disparu (on le comprend), mais avait été remplacé par une grosse bête, jaune aussi, mais avec des taches noires (c'est pour faire plaisir à Pyrox, les taches noires), et quatre fois, non, cinq fois plus grand. Il était assisté de deux acolytes à peine moins impressionnants qui se tenaient légèrement en retrait. Par un reste inexplicable de prudence, le gros chien jaune hésitait à attaquer mais tendait une gueule baveuse vers le sac de Zelda.

Elle a compris qu'ils étaient affamés et que même les quelques biscuits qui lui restaient représentaient une proie non négligeable pour ces monstres.
Zelda a su saisir sa chance. Elle a empoigné son sac et l'a lancé le plus loin qu'elle pouvait. Les trois chiens se sont immédiatement rués sur le sac et se sont battus pour s'en emparer, le déchiqueter, et accéder au précieux contenu.
Ne demandant pas son reste, Zelda s'est enfuie dans la direction opposée.

Oui mais bon, faut pas rigoler non plus. Un chien, c'est beaucoup plus con qu'un chat, mais quand il s'agit de bouffer, ça plaisante pas. Les biscuits ont été engloutis en moins de deux.

Alors, le gros chien jaune a vu Zelda qui s'enfuyait. Il n'en fallait pas plus pour réveiller son instinct de chasseur, quoique passablement endormi par un régime alimentaire principalement constitué de bouts de hot dog trouvés dans les poubelles. Il a démarré comme une balle et s'est rué sur Zelda.

La petite princesse s'est dit que si elle savait les maths, étant donné que de toute la vitesse de ses petites jambes, elle courait à un bon douze kilomètres par heure, que le gros chien courait au moins deux fois plus vite, qu'elle avait une centaine de mètres d'avance, elle pourrait calculer l'instant exact de sa mort. Puis elle s'est dit que pour bien vivre, il valait mieux ne pas connaître à l'avance l'heure de sa mort (la petite princesse était philosophe). La conclusion logique, c'était que les maths n'étaient pas forcément une bonne chose à étudier.

Mais quand-même, elle se doutait bien que les chiens allaient la rattraper très vite. Il lui fallait une idée !

- Euh, allo, ma bonne fée, si tu m'entends, c'est Zelda ici. Je suis au milieu de Prospect park, je suis poursuivie par trois dragons... euh chiens, mais ils ont l'air terrible.
Ils vont me rattraper dans vraiment pas longtemps et ça va être affreux, ils vont me mettre en pièces, puis ça va faire désordre dans le parc, et des morceaux de mon corps qui traînent un peu partout, ça risque d'effrayer les enfants qui vont venir jouer au parc demain, tu vois, je ne dis pas ça pour moi, mais si tu pouvais te remuer un peu le popotin et m'envoyer un truc utile, cette fois, pas juste un chiot, plutôt, je sais pas moi, une paire d'ailes en état de marche par exemple, ou un bazooka avec des munitions et le mode d'emploi, ou alors, si c'est plus facile pour toi, un chevalier avec tout l'équipement standard, cheval, armure, épée, masse d'armes, enfin, je te laisse régler les détails, tu fais pour un mieux, tu vois, je ne suis pas difficile, mais s'il te plait, tu fais viiiiite !

Et c'est juste au moment où le premier chien l'avait rejoint, comme il s'élançait gueule ouverte pour la plaquer au sol, que le chevalier l'a saisie par le bras, l'a soulevée de terre, et l'a déposée devant lui sur son cheval au galop.

A suivre...